Badjens de Delphine Minoui

Les choses qu'on vit, les choses qu'on lit

« Je suis une enfant de Chiraz.

Je suis la fille mort-née d’un pays qui m’a fantomisée.

J’exige de vivre.

Quitte à mourir pour être vue. »

Zahra, surnommée Badjens (mot à mot : mauvais genre) « porte le désespoir comme [elle] porte le foulard. »

Dans l’Iran qui impose à ses filles de dissimuler leur chevelure dès l’âge de 9 ans, la narratrice s’insurge. Juchée en haut d’une benne-barricade, elle lève le voile, ôte le mantô qui étouffe sa liberté. Aux côtés de ses sœurs d’infortune, dont la plus célèbre est la jeune kurde iranienne Mahsa Amini, elle aussi s’apprête à mourir pour ses idées.

Delphine Minoui, dans un récit poétique conduit à la 1ère personne, revient sur les seize années de son héroïne, depuis sa naissance – vécue comme une malédiction- jusqu’à son sacrifice. L’écriture est ciselée ; le texte oscille entre humour désabusé, cynisme et restitution sans fard des horreurs subies par « [l]es femmes aux avant-postes de la révolution. Elles [qui]  arrachent leur foulard.[…] coupent leurs cheveux. Et de leurs larmes […] les arrosent pour qu’ils repoussent encore plus forts, encore plus beaux. »

Le récit n’est ni misérabiliste ni lourdement militant. Il sonde, à hauteur de vue d’une adolescente d’aujourd’hui, la réalité des femmes que l’on asphyxie. La poésie de l’autrice imprime d’indélébiles images. Le texte questionne les usages du monde et de la langue.  « Je me suis toujours demandé si la cartographie ou encore la langue d’un pays avaient une influence sur sa sociologie. En persan, ce n’est peut-être pas anodin, il n’y a ni masculin, ni féminin.

Comme si les lettres mâles avaient endormi les femelles avec un coton d’éther. »

Badjens, l’espiègle, l’effrontée, s’élève contre le sort qu’on réserve aux femmes et aux papillons, à l’instar de celui que capture et étouffe « Mehdi, [ son ]  frère Roi-Soleil ».  

Du bel insecte Parnassinae que son frère endort à jamais, elle conserve les ailes et l’étincelante liberté.

« Zan, Zendegi, Azadi ! » Femme, Vie, Liberté !

January 2, 2025
Sonia HANIHINA