Bientôt les vivants d'Amina Damerdji
Les vivants, ce sont eux, « Ouled el Bahjda : les enfants de la Radieuse » - l’un des surnoms de la ville d’Alger.
Ils s’efforcent de vivre dans leur pays ensanglanté par la lutte des islamistes et de l’armée à la solde du Gouvernement. Quand les adultes s’affaissent, renoncent à leurs idéaux et fuient, leurs filles et leurs fils, eux, dressent leur jeunesse contre la violence. Maya, la jeune journaliste, la documente, Selma, sa farouche cousine, chevauche l’indocile étalon Sheïtane, et dans son élan, se soustrait à l’horreur et aux luttes fratricides qui déciment son pays et sa famille.
Dans ce roman magistral, couronné par le Prix de la littérature arabe des lycéens 2024, le cœur battant de la jeunesse algérienne palpite. La fougue des années d’adolescence anime les jeunes gens que l’on suit dans la décennie noire.
1988-1997. La jeune Selma, décrite comme « une moitié de centaure », vit dans une banlieue privilégiée d’Alger et passe ses journées au centre équestre de Baïnem, s’échappant de la maison où s’enveniment les relations de son père Brahim et de son oncle Hicham, deux frères ennemis. Le premier, médecin, a dû se résoudre malgré lui à se livrer au trafic de médicaments encouragé par le gouvernement pour mettre sa famille à l’abri du besoin. Le second, avocat des plus éminentes figures du FIS, plonge dans une foi obscure.
Hors de la maison devenue cage, Selma s’élance. Au-delà de la forêt où elle s’aventure en risquant sa vie, au galop, elle découvre les villages reculés, celui d’Adel le palefrenier, où les têtes tombent sous les coups des islamistes comme ceux des militaires.
Le récit d’Amina Damerdji ne cède jamais à la facilité ; l’autrice ne donne pas une lecture manichéenne de cette période obscure. Les chevauchées de Selma comme ses tribulations dans les étages de la maison - que partagent son père et son oncle- sont autant de navigations et de questionnements. Elle cherche du sens dans un monde qui n’en n’a plus.
Postée à la fenêtre engrillagée, elle observe les arbres de son enfance que l’on vient de tronçonner …
« Nous contemplons certains paysages depuis notre enfance sans imaginer qu'ils peuvent disparaître. Ils sont comme des êtres familiers ou certaines odeurs et saveurs qu'on a connues depuis tout petits : un refuge et, quand tout vacille, ce qui nous raccroche au monde tangible. Selma avait toujours ouvert ses volets sur les arbres de Baïnem. Elle y avait vu chaque jour depuis sa fenêtre les oiseaux y établir la demeure de leurs chants. Les feuilles rougir puis tomber. Elle avait vu reverdir les arbres au printemps. Ils avaient été les témoins de ses émotions les plus secrètes, honte de l'adolescence et premiers émois amoureux. Maintenant ils gisaient là, au bord de la route. Leurs troncs avaient été coupés puis chargés dans des camions. »
… les hommes comme les arbres disparaissent, les illusions aussi. Restent les blessures.
Mais « Nos blessures ne sont pas des impasses mais d’autres chemins. » Les mots de la sage Mima réconfortent sa petite fille qu’une mauvaise chute éloigne à jamais de l’équitation.
De ses blessures, la romancière Amina Damerdji, qui a quitté l’Algérie à l’âge de sept ans quand a éclaté la guerre civile, a su faire un très beau chemin… jusqu’au cœur des jeunes lecteurs du jury du prix de la littérature arabe ! Bravo !