Les Silences des pères de Rachid Benzine

Les choses qu'on vit, les choses qu'on lit

J’ai traversé avec Rachid Benzine Les Silences des pères.Le récit m’a littéralement embarquée.  

J’aurais dû ce soir parler de « filiation(s) » au milieu de lecteurs réunis à la Librairie Flora-lit - dans le 14ème arrondissement - autour d’une tasse de thé et de mon roman. J’aurais dû raconter Le Tube de Coolidge et la puissante voix de la narratrice Mona, jetée au-dessus de la Méditerranée, heurtée au silence de son père, comme fracassée sur un os, le dernier d’une longue errance dans les catacombes.

C’était sans compter sur l’hiver, prématurément invité à Paris, qui en a décidé autrement. Faisant fi des voies et trottoirs verglassés, j’ai décidé de prendre la route quand même ! C’est comme ça que je me suis installée aux côtés d’Amine et qu’avec lui j’ai traversé la France à la recherche des amis de ce père mutique qui toujours « esquivait l’objectif, restait hors champ ».

Je suis montée côté passager. Au volant de la berline, Amine, pianiste renommé, vient de perdre un père dont il s’est éloigné en silence, lui reprochant le sien et l’acceptation résignée de sa condition d’immigré. Un vieux magnétophonePanasonic et quelques cassettes exhument la voix du défunt père qui a muré les grandes douleurs de sa vie d’ouvrier, une vie d’exil, de renoncements et de deuils. Chaque enregistrement dévoile un peu plus l’inconnu et dessine pour le fils autant d’étapes vers de précieux témoins qui l’ont croisé avant le grand silence.

J’ai parcouru avec Amine des banlieues grises : Trappes, Lens, Aubervilliers… qui se sont éclairées de lumineuses rencontres, celles de frères d’infortune, d’amis immigrés ayant comme son père quitté le Maroc ou l’Algérie pour mener une existence souvent rude mais où l’« on n’a pas toutes ces morts mystérieuses comme chez [eux], où quelqu’un est là un jour et le lendemain, on apprend qu’il est mort sans jamais savoir pourquoi. »

J’ai pleuré avec le fils.

J’aurais dû ce soir parler de« filiation(s) » au milieu des livres. La neige qui assourdit les bruits, rend le monde au murmure, la neige n’avait pas recouvert les rayons de ma bibliothèque. J’ai trouvé Les Silences des pères. J’aurais dû parler des pères de Coolidge. J’ai vibré de leurs échos.

« WalterBenjamin écrit que le silence est une réponse au chaos du monde, une sorte de défi lancé aux aventures de la vie. Une panne dans nos récits. C'est vrai. »

September 15, 2024
Sonia Hanihina